terça-feira, 27 de agosto de 2013

Chine et Amérique Latine

J’écris ce texte peu après la XIXème Rencontre du Forum de Sao Paulo, qui a réuni un millier de militants latino-américains et caribéens, du 29 juillet au 4 août 2013, pour débattre de deux thèmes: comment approfondir les changements et comment accélérer l’intégration régionale.
La rencontre s’est tenue dans une conjoncture marquée par trois variables fondamentales: le déplacement du centre géopolitique du monde, de l’Occident vers l’Orient; le déclin de l’hégémonie des Etats-Unis; la crise internationale du capitalisme. Il s’agit de processus en cours, à l’issue incertaine, qui peuvent encore tourner à l’avantage des classes sociales et des Etats qui ont tenu le monde sous leur hégémonie durant la période néolibérale.
Indépendamment de leur dénouement, les trois variables citées créent un environnement d’instabilité et de crises, sociales, politiques ou militaires, ce qui conduit à la formation de bloc régionaux, y compris avec des instruments de protection.
Le continent américain vit, en particulier, un conflit entre deux grands projets d’intégration régionale: d’une part, le projet d’une intégration subordonnée aux Etats-Unis, symbolisé par l’ALCA (Area de Livre Comercio das Americas – Zone de libre-échange des Amériques), et, d’autre part, le projet d’intégration autonome, symbolisé par la CELAC (Comunidade de Estados Latino-americanos e Caribenhos – Communauté d’Etats Latino-américains et Caribéens).
Le projet d’intégration autonome n’est pas, en lui-même, socialiste. Mais l’intégration est une condition fondamentale pour le succès économique et politique d’une transition socialiste. L’intégration permet de limiter les actions que mènent, de façon permanente, l’impérialisme et les classes dominantes de chacun de ces pays contre la gauche latino-américaine. L’intégration, d’autre part, crée une “économie d’échelle” et la “synergie” indispensables pour surmonter les limites matérielles, productives, économiques, qui compliquent la transition socialiste dans chacun des pays de la région.
Depuis 1998, les forces favorables à une intégration autonome ont gagné les élections dans des pays importants de la région. Mais, à partir de 2008, s’est amorcée une contre-offensive des forces favorables à une intégration subordonnée aux Etats-Unis. Aujourd’hui, nous connaissons une situation de « relatif équilibre » entre les deux projets d’intégration (autonome et subordonnée).
Politiquement, une situation d’équilibre relatif peut être favorable aux forces de gauche. Mais, historiquement, une situation d’équilibre relatif favorise toujours les forces qui représentent le status quo, puisque l’équilibre signifie la continuité de l’ordre hégémonique qui, dans notre cas, est encore capitaliste, dépendant et néolibéral.
En ce sens, il est fondamental de chercher des voies pour continuer d’avancer. C’est là le cœur des résolutions de la XIXème Rencontre, quand elles parlent d’approfondir les changements et d’accélérer l’intégration; ou de chercher des victoires dans le cycle électoral qui commence en novembre de 2013 (Chili et Honduras) et se poursuit jusqu’en décembre 2014 (Bolivie); ou bien, encore, d’appuyer les luttes sociales, les partis de gauche et les gouvernements progressistes de la région.
Entretemps, pour continuer à avancer, il faut surmonter des obstacles puissants, au nombre desquels notre déficit théorique sur au moins trois plans: le bilan des tentatives de construction du socialisme au XXème siècle; l’analyse du capitalisme du XXIème siècle; et la stratégie socialiste, dans l’Amérique latine d’aujourd’hui. En évoquant le déficit théorique, nous faisons référence à la fois à la nécessité de dépasser les interprétations erronées et à la nécessité d’en construire de nouvelles.
L’imaginaire de la gauche latino-américaine est, au moment où est écrit ce texte, encore fortement influencé par les paradigmes qui ont certainement beaucoup contribué à ce que nous arrivions là où nous en sommes ; mais , dans le même temps, nous créent des difficultés pour faire face aux défis présents et futurs.
L’influence de paradigmes puisant leurs origines dans l’idéalisme religieux, soit dans sa version chrétienne, soit dans sa version « pachamamesque », est encore très forte. Ces influences en amènent beaucoup à confondre marxisme et “machisme”, comme si le “sacrifice” ou la “bravoure” pouvaient suffire à surmonter n’importe quel obstacle.
L’influence du mouvementisme et du paradigme révolutionnaire que représente Cuba 1953-1959, dans une large mesure représentée par la figure du Che, reste également très forte. Enfin, nous nous devons également faire face à une forte influence tant du national-développementisme (y compris les “alliances stratégiques” avec des secteurs de la bourgeoisie) que du socialisme d’Etat (y compris dans sa difficulté à appréhender le rôle du marché dans la transition socialiste).
Un de nos défis, au plan théorique, réside dans la formulation d’une stratégie adéquate à la période historique que nous vivons. Dans cette tâche, il est très utile d’étudier deux expériences historiques et les débats qu’elles ont suscités : le Chili de l’Unité Populaire (1970-1973) et la Chine des réformes (1978-2013).
Au sens le plus large, la stratégie socialiste constitue le plan général de “campagne” que nous élaborons pour le dépassement du capitalisme et pour la réalisation d’une société sans classes et sans Etat, sans exploitation, ni oppression.
Si nous menons avec succès cette “campagne ”, nous aurons réalisé deux transitions:
a) une transition du mode de production: du capitalisme au communisme;
b) une transition d’ère historique: de l’ère de la société humaine divisée en classes, à une ère de la société humaine non divisée en classes.
Bien sûr, cette "transition" sera une période historique relativement longue: nous ne parlons pas même de décennies, mais plus probablement de siècles. Il est correct de désigner avec des termes différents l’objectif final (une société communiste) et la transition (le socialisme). Si le socialisme est une période de transition, cela signifie qu’il a un point de départ (le capitalisme) et un point d’arrivée (le communisme). La transition consiste en un processus de socialisation de la production, de la propriété et du pouvoir politique.
Une partie de cette transition est en cours, d’ores et déjà, sous le capitalisme: il s’agit de l’accroissement de la capacité de production, condition matérielle de base pour l’existence d’une société sans classes.
Cet accroissement de la capacité de production est ce que nous appelons aussi développement des forces productives. En un mot: produire toujours plus, avec toujours moins de temps de travail et de ressources naturelles. Les gains de productivité du travail créent les conditions d’une société qui ne soit pas basée sur l’exploitation du travail. Elle créé, de plus, la possibilité d’une société sans carences matérielles.
La manière avec laquelle le capitalisme développe les forces productive socialise le processus de production. Comme le sait tout travailleur en usine, le processus de production est toujours plus intégré, interdépendant, collectif et… n’a plus besoin du capitaliste pour fonctionner.
Mais les capitalistes existent et s’approprient la plus grande part de la richesse produite par le travail. Plus que cela: le contrôle que les capitalistes maintiennent sur le processus de production, fait que ce processus de production (et par voie de conséquence, toute la société) souffre de crises cycliques. Ainsi, la marchandisation et l’épuisement de la nature, produisent des crises environnementales chaque fois plus sévères.
Pourtant, pour que les possibilités (ou les potentialités) libératrices de la socialisation de la production (survenues dans le capitalisme) deviennent réalité, il est nécessaire de socialiser aussi la propriété, y compris comme condition préalable à la satisfaction des intérêts du travail et de la nature. Pour une production collective, une propriété collective; pour une production sociale, une propriété elle aussi sociale.
Mais pour que la propriété soit placée sous contrôle social, il est nécessaire de changer le rapport de forces politique existant dans la société.
C’est pourquoi nous pouvons dire que la transition socialiste a un point de départ politique (la conquête du pouvoir par les travailleurs), un point d’arrivée politico-social (l’abolition des classes et de l’Etat) et un paramètre (sans lequel parler de transition n’a pas de sens): la socialisation progressive de la propriété, de la production et du pouvoir politique.
Il se trouve que le processus de développement capitaliste n’est pas homogène, non plus qu’uniforme. Le degré de socialisation de la production est inégal, de pays à pays, de branche à branche, d’époque à époque.
Il se trouve aussi qu’il n’existe aucune corrélation directe, mécanique, entre stade de développement des forces productives d’un côté et création des conditions nécessaires à la prise du pouvoir par les travailleurs, de l’autre.
Au XXème siècle, par exemple, les travailleurs ont pris le pouvoir précisément dans des pays à bas niveau de développement des forces productives, ce qui les a placé dans la nécessité d’utiliser le pouvoir de l’Etat non seulement pour "socialiser la propriété", mais aussi pour "socialiser la production". Voilà ce qui, dans les expériences du XXème siècle, a obligé les gouvernements révolutionnaires à renoncer à des mesures de démocratisation de la propriété privée (comme la réforme agraire) et/ou à des formes très proches du capitalisme d’Etat.
Cependant, considérant que la stratégie socialiste est le plan général de “campagne” que nous élaborons pour le dépassement du capitalisme et pour l’implantation d’une société sans classes et sans Etat, sans exploitation ni oppression, il convient de diviser ce plan général en deux parties:
a) la stratégie qui vise à conquérir le pouvoir politique;
b) la stratégie qui vise à socialiser le pouvoir, la propriété et la production, après la conquête du pouvoir.
La première partie du pouvoir peut être prise au niveau national. La seconde partie ne peut être gagnée que sur une échelle plus large, régional et mondial. En dernière analyse, ce qui différencie le socialisme marxiste d’autres courants est la perception que le dépassement du capitalisme est un problème historico-matériel, et pas seulement subjectif. Ainsi, tant la stratégie de conquête du pouvoir que la stratégie de construction du socialisme doivent conduire à prendre en compte deux questions cruciales: les formes de propriété et les forces productives existantes dans chaque pays capitaliste.
Pour autant, ces questions pèsent d’un poids différent dans chacune des “parties” de la stratégie. Par exemple, si le stade de développement des forces productives avait été la variable déterminante dans la décision stratégique sur la conquête du pouvoir, les travailleurs n’auraient dû prendre le pouvoir dans aucun des pays où se déroulèrent des "révolutions socialistes" tout au long du vingtième siècle. D’ailleurs, dans tous ces pays le stade de développement matériel, tout comme les relations capitalistes, était extrêmement bas. Cependant et paradoxalement, ce fut grâce à ces révolutions que le développement, en général, fut accéléré.
Donc, la politique (rapport de forces, possibilités de succès, occasion offerte par la conjoncture, lutte directe pour le pouvoir inévitable, risque d’être massacrés par la contre-révolution au cas où le pouvoir ne serait pas conquis etc.) constitue la variable déterminante dans la stratégie de conquête du pouvoir. Mais elle n’est pas, prise isolément, la variable déterminante dans la stratégie de construction du socialisme.
Pour que l’Etat puisse transformer toutes les formes de propriété en formes socialistes, il ne suffit pas d’accomplir une révolution politique. Il est possible de conquérir le pouvoir dans un pays économiquement sous-développé. Il n’est, en revanche, pas possible de socialiser pleinement le pouvoir et la propriété dans un pays économiquement sous-développé.
La socialisation du pouvoir et de la propriété requiert, en effet, d’avancer de pair avec la socialisation de la production. Il est nécessaire de développer les forces productives, ce qui exigera d’entretenir, pendant une période déterminée, des relations capitalistes de production (d’ailleurs il est toujours bon de le réaffirmer que l’exploitation capitaliste est un facteur fondamental dans l’accroissement de la capacité productive de l’humanité).
Mais la politique (au sens de la volonté) n’est pas suffisante en elle-même. Partir à l’assaut des cieux ne remplit pas l’estomac, pas plus que la fermeté idéologique à elle seule ne suffit à garantir la défense nationale. Bien entendu, ces thèmes se présentent de façon différente dans les pays où le pouvoir n’a pas été conquis à la suite d’une révolution, où l’on tente de construire un nouveau pouvoir par une complexe guerre de positions (raison pour laquelle il est fondamental d’étudier l’expérience chilienne 1970-1973).
Dans ces pays aussi, il est fondamental que les gouvernements progressistes et de gauche latino-américains et caribéens impulsent le développement productif. Mais il est tout aussi fondamental de débattre de la nature de ce développement et de renforcer, de manière "disproportionnée", l’aspect politique.
Le dilemme consiste à savoir comment poser l’équation du développement nécessaire de la capacité productive, avec la stratégie politique de conquête du pouvoir. Il est possible de favoriser économiquement le secteur capitaliste privé et d’accumuler politiquement des forces en faveur de la gauche socialiste; tout comme il est possible de défavoriser économiquement le secteur capitaliste privé et «désaccumuler» politiquement, affaiblissant la gauche socialiste.
La stratégie connue sous le qualificatif “étapiste” (d’abord l’étape de la révolution bourgeoise, puis l’étape de la révolution socialiste), adoptée pendant longtemps en Amérique latine, ne prenait pas en compte de façon adéquate le fait que les conditions pour la conquête du pouvoir et les conditions pour la construction du socialisme ne se forment pas ensemble. Espérer, dès lors, que les deux coïncident peut conduire à renoncer à la prise du pouvoir (et, dans quelques pays, de renoncer au développement même des forces productives).
Mais nous devons aussi reconnaître que certaines stratégies “anti-étapistes” commettent une erreur symétriquement opposée: la conquête du pouvoir, dans des conditions d’extrême sous-développement du point de vue économico-matériel, génère des tentatives de construction du socialisme totalement différentes de celles que le mouvement socialiste imaginait. Elles ont pu connaître un certain succès tant que prévalaient des conditions internationales qui n’existent plus aujourd’hui.
Donc, si nous devons récuser la stratégie “étapiste”, nous ne pouvons ni ne devons récuser la problématique théorique qui pointe le caractère central du développement des forces productives dans la mise en œuvre d’une stratégie socialiste. C’est là un sujet où l’étude de l’expérience chinoise (1949-2013) est fondamentale.
Entre autres aspects, il s’agit de savoir quelle est la nature des forces productives, quelle est la nature du développement que nous devons défendre. Quel est le rôle que le secteur capitaliste privé peut ou doit jouer dans ce développement? Par exemple, quant à l’élargissement de l’infrastructure économique, matérielle, existant dans le continent latino-américain: dans les conditions actuelles, ne peut-on y parvenir sans recourir de façon puissante au secteur privé. Est-ce là ce que nous devons faire? Ou serait-ce une façon incorrecte de lier les tâches démocratiques aux tâches socialistes? La réponse correcte exige la mise en équation du nécessaire développement de la capacité productive (qui est un problème autant tactique que stratégique), avec la stratégie politique de dispute et de conquête du pouvoir.
Il s’agir de prendre des mesures qui augmentent la force sociale et politique des classes laborieuses; qui accroissent le poids du capitalisme monopoliste d’Etat, face au capitalisme monopoliste privé; qui accroissent le poids du capitalisme démocratique, face au capital monopoliste privé; qui accroissent le secteur public non-marchand (politiques sociales universelles), face au secteur mercantile; qui accroissent la forme productive du capital, face à sa forme spéculative. Enfin le nœud, le centre de la question, est moins dans l’économie au sens strict, que dans l’ensemble de l’œuvre.
Pour faire face à toutes ces questions, aussi bien l’expérience chilienne (1970-1973) que l’expérience chinoise (1949-2013) doivent être étudiées avec la plus grande attention. Cette affirmation est loin d’être une opinion dominante dans les théories révolutionnaires latino-américaines actuelles.
Dans le cas du Chili, l’anniversaire des 40 ans du coup d’Etat sera une occasion d’approfondir ce débat, en se focalisant sur la discussion de ce qui aurait pu être fait pour garantir le succès de la construction du pouvoir populaire et du domaine de la propriété sociale, proposées par l’Unité populaire.
Dans le cas de la Chine, nous aurons besoin de lier la connaissance historique et le débat théorique sur le “socialisme aux caractéristiques chinoises ” avec la discussion tout aussi complexe sur les activités économiques et le rôle géopolitique de la Chine dans le monde, en général, ou en Amérique latine, en particulier.
De nombreux secteurs profitent de la nature contradictoire du développement interne de la Chine, ou encore de la nature contradictoire de ses investissements extérieurs, pour critiquer l’ensemble de la stratégie de transition au socialisme. Il se trouve que cette nature contradictoire (qui inclut le risque permanent de défaite) est aussi un signal de vitalité et de succès potentiel, au moins pour ceux qui croient que le communisme est le produit des contradictions et du dépassement du capitalisme lui-même.
Mais, malgré tout cela, nous sommes bien mieux placés aujourd’hui qu’en 1978, alors que très rares étaient ceux qui comprenaient correctement ce qui était en cours dans la République populaire de Chine, avec l’impact massif que cela aurait sur les prochaines décennies. Moins nombreux encore étaient ceux qui comprenaient que l’expérience de l’Unité populaire chilienne portait, malgré sa défaite, de grands enseignements stratégiques. Aujourd’hui nous sommes en plus grand nombre à le mieux percevoir, quand bien même nous avons beaucoup de travail théorique sur la planche.
6 août 2013, Sao Paulo, Brasil

Valter Pomar, membre de la Direction nationale du Parti des travailleurs (PT, Brésil) et secrétaire exécutif du Forum de Sao Paulo.

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